PROJET IPAF-FIDA du FIMI
ORGANISATION
Asociación Mari Epu Lof ADI Budi
PARTICIPANTS DIRECTS
40
PARTICIPANTS INDIRECTS
160

L’école Mari Epu Lof ADI Budi est née comme une proposition de formation collective pour aborder des enjeux contemporains comme la crise écologique, le manque de légitimité de l’État et de ses institutions représentatives, ainsi que la révolution numérique, le tout pour préparer les futurs leaders du peuple Mapuche Lafkenche pour l’administration de leurs territoires. Son objectif est de travailler pour le développement local avec une approche culturelle et environnementale basée sur les droits et l’égalité de genre. L’école aspire également à former et à outiller les jeunes sur les pratiques et activités productives de leur terre, suivant leur vision du monde et leur lien avec Az Mapu et le concept d’Ixrofil Mögen (le buen vivir, ou bien-vivre).

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Teodoro Schmidt / La Araucanía / Chili
LANGUE
Mapuzungun
POPULATION
15 045
ALTITUDE
32 m
SUPERFICIE
65 000 ha
COORDENADAS
17,113
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0:00

La commune est située dans la province de Cautín, à 72 km de la ville de Temuco et à 43 km de la ville de Freire. Elle est bordée au nord par les communes de Saavedra, Carahue et Nueva Imperial; à l’est par Freire; au sud par Pitrufquén et Toltén; et à l’ouest par l’océan Pacifique. La région a un climat océanique tempéré pluvieux. Les températures ne dépassent les 20 degrés Celsius que lors des mois d’été (décembre, janvier et février), tandis qu’en hiver les températures maximales sont d’environ 10 degrés.

Un peuple autosuffisant
Teodoro Schmidt / La Araucanía / Chili
PHOTOGRAPHIES Catalina Juger
textE Marisa Batalla

Chaque matin, Hermo Hernán Antilef remercie le créateur pour la santé et la vie des gens de la communauté de Teodoro Schmidt, là où commence le sud du Chili, la région la plus pauvre du pays. Il rend surtout grâce pour sa femme, son fils et ses deux filles. L’aînée est infirmière, le garçon est électricien et la benjamine est à la maison et étudie en ligne à cause de la pandémie, malgré certains problèmes de connectivité. Cela met d’ailleurs en évidence l’un des problèmes d’inégalité que la COVID-19 a aggravé : le fossé numérique. « C’est comme si nous étions les derniers en file », explique Hermo.

Il considère que l’État chilien ne leur donne que ce qu’il a en trop, sans se soucier de ce dont ils ont besoin. « Les communautés autochtones du Chili ont toujours été négligées. Nous ne sommes pas véritablement reconnus; on parle un peu des peuples autochtones, mais sans jamais valider vraiment notre existence. »

Le Chili compte huit peuples autochtones, dont le peuple Mapuche. Hermo Antilef et sa famille sont Lafkenches, l’une des six identités territoriales du peuple Mapuche. Les Lafkenches définissent leur place dans le monde, leur culture, leur vision du monde et leur identité historico-spirituelle en fonction de leurs liens avec la mer et l’eau. Mais ce lien est en train de s’éroder.

En raison du manque d’options pour l’avenir, les jeunes migrent vers les villes. La langue sombre dans l’oubli. Hermo considère d’ailleurs que l’une des stratégies de l’État pour faire complètement disparaître les Peuples autochtones a été de les priver de leur langue. Il s’est donc proposé d’empêcher que cela se produise. « Un peuple qui a tant de valeur ne peut pas mourir », dit-il. « Le peuple Mapuche a été plus résistant, plus fort et plus solide », et aujourd’hui il est bien organisé.

« La terre nous voit naître, elle nous donne à manger, puis elle nous accueille à nouveau. »

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(3) Machi Juana Mora Millaqueo, 45 ans. Appartenant à une famille de tradition Machi Lonko, son rôle d’autorité spirituelle a été défini dès son enfance. Il est dit que les personnes qui n’arrivent pas à se développer comme Machi passent leur vie malades ou souffrantes. (4) L’école Mari Epu Lof ADI Bindi est née d’une proposition de formation collective pour aborder les problèmes contemporains.  (5) L’élevage est essentiel à la subsistance des communautés Mapuche Lafkenche.  (6) Avant de devenir Machi, Juana a étudié dans la ville de Santiago. Les circonstances l’ont amenée à assumer le rôle auquel elle était destinée. Soigner et guider les membres de sa communauté sont certaines de ses responsabilités.  (7) Le Lafken Mapu est la zone côtière habitée par le peuple Mapuche. Il s’étend de Tirúa jusqu’à la province d’Osorno.

La Constitution chilienne actuelle, héritée du dictateur Augusto Pinochet, ne fait pas la moindre mention des communautés autochtones et ne reconnaît pas le Chili comme un pays multiculturel et multiethnique. Hermo considère que les soulèvements populaires qui ont commencé en 2019 ont secoué l’État; les gens ont perdu la peur et se sont levés pour revendiquer leurs droits.

Ces mobilisations massives ont mené à la convocation d’un référendum pour que le peuple choisisse s’il voulait ou non une nouvelle Constitution et, le cas échéant, le mécanisme à adopter pour son élaboration. Hermo espère que la nouvelle Constitution reconnaîtra les communautés autochtones et leurs droits. Certains indices laissent croire que ce sera le cas : quelques jours après notre conversation, la Convention constitutionnelle a élu à sa présidence une femme mapuche, Elisa Loncón.

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(8) Les femmes participent à la prise de décision collective pour assurer l’avenir de leurs communautés.  (9 a-d) Avec le soutien du Forum international des Femmes autochtones (FIMI), des initiatives visant à renforcer la sécurité alimentaire ont été impulsées.  (10) La plantation de pins et d’eucalyptus provoque des pénuries d’eau et la détérioration des terres. Les communautés qui composent le peuple Mapuche élèvent leur voix contre l’extractivisme et l’exploitation de leur environnement.  (11 a-b) José Avelino Huenchuman, membre et représentant de la commune de Teodoro Schmidt. (12) La déforestation est l’une des nombreuses menaces qui pèsent actuellement sur le peuple Mapuche.

Hermo Antilef s’inquiète du manque d’opportunités, du manque de ressources et du manque de volonté de l’État d’investir dans les communautés autochtones. Par exemple, l’hôpital le plus proche de leur territoire est à une centaine de kilomètres, ou environ trois heures de route, et la médecine traditionnelle dont le peuple a besoin n’y est pas respectée.

La communauté a accès à l’éducation, mais, comme dans le cas de la santé, ce service public a été privatisé. D’après Hermo, le racisme systémique fait également en sorte que les enfants autochtones ne soient pas valorisés de la même manière que les enfants « aux yeux bleus », même à éducation égale.

L’aspiration d’Hermo pour sa communauté est que chaque personne puisse consommer ce qu’elle produit et avoir ainsi une alimentation saine. Pour y parvenir, il estime qu’il faut savoir prendre soin de la terre, sans qui la vie n’est pas possible. « La terre nous voit naître, elle nous donne à manger, puis elle nous accueille à nouveau », dit-il.

C’est ainsi qu’un projet a été lancé avec le Forum international des Femmes autochtones (FIMI) et le soutien financier du Fonds international de développement agricole (FIDA), à travers son Mécanisme d’assistance pour les peuples autochtones (IPAF), pour mener des processus de formation collective pour que les leaders lafkenches de demain apprennent à administrer leurs territoires. Le projet a été mis en œuvre avec une perspective de développement local en mettant l’accent sur la culture, l’environnement, les droits et l’égalité de genre. Ce sont surtout les jeunes du territoire qui étaient ciblés, mais des personnes de tous âges ont participé.

Dans la langue autochtone mapuzungun, le territoire mapuche s’appelle Wallontu Mapu, ou Wallmapu, ce qui signifie terre environnante. Ce vaste espace se trouve au centre-sud du Chili et de l’Argentine et est traversé par le Pire Mapu (la cordillère des Andes).

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(13) Leocadio Sánchez, surnommé « Lonko », devant sa Ruca. Ces structures traditionnelles servent de lieux de rencontre dans les communautés. Ce sont des endroits où les gens se retrouvent pour discuter et cuisiner.  (14 a-b) Des processus de formation collective ont été menés dans la communauté pour que les leaders lafkenche de demain apprennent à administrer leurs territoires.  (15) La pêche est une activité essentielle pour l’alimentation des communautés Mapuche Lafkenche.  (16) Jeannette Huircán Lobos, 35 ans, se consacre à la production maraîchère. La sécurité alimentaire et l’autosuffisance sont d’une importance vitale pour les communautés. (17) Un homme âgé pêche pour s’alimenter dans le secteur de Nigue.

Le projet a produit des résultats tangibles et intangibles. En plus de renforcer certaines connaissances techniques, il a apporté de nouvelles perspectives. Hermo dit que cela leur a servi « à voir tout ce qu’on peut être et ce qu’on peut faire ». Son objectif est clair : que les Peuples autochtones du Chili deviennent autosuffisants, qu’ils puissent avoir leurs propres objets, qu’ils puissent se nourrir, s’éduquer et se soigner de manière durable, dans une relation de respect et d’harmonie avec leur environnement.

D’ici là, il continuera à respecter la terre et l’eau, comme le lui ont appris ses ancêtres. Hermo assure qu’il n’est qu’un être humain et que « la nature est parfaite comme elle est ». Elle n’a pas besoin que nous prenions soin d’elle. Au contraire, c’est elle qui prend soin de nous. C’est pourquoi nous devons nous montrer dignes de ce qu’elle nous donne. Cette idée, basée sur le respect de la vie sous toutes ses formes, a un nom dans la communauté : le concept d’Ixtrofil Mögen, ou buen vivir (bien-vivre).

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Teodoro Schmidt / La Araucanía / Chile